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10 septembre 2012 1 10 /09 /septembre /2012 18:21

Un petit village de Provence.

Un soleil de Provence venait écraser une petite bourgade perchée sur une faible colline entre la vigne, la lavande et la garrigue.
Il n'avait l'air de rien ce village. À l'écart de tout, quelques dizaines de maisons en pierre de pays s'accrochaient au mieux à cette terre de grillons chanteurs, d'oliveraies perdues et de parfum de cocagne où se disputait une centaine d'âmes égarées.
Parfois, on pouvait y rencontrer aux alentours un mas ou deux retranchés en hameau qu'un découpage administratif voulait à tout prix rattacher à la commune. Cette municipalité faisait face à la menace, bien réelle, d'une dépendance à la ville pas loin qu'il lui fallait exorciser.
Déjà des travaux avaient contribué à restaurer la départementale qui serpentaient dans ce pays presque vierge, jusqu'à le balafrer de part en part, pour aller se perdre plus loin dans la région voisine.
La localité avait d'ailleurs payé son tribut à la modernité en acceptant par la force des choses cette route misérable qui le coupait en deux. Malgré cela, le village gaulois tenait encore bon devant ces assauts citadins.
Tout en rondeur, il se centralisait autour d'un lieu unique entre tous ; un lieu où chacun aima à se montrer ; un lieu de rencontre parce qu'il n'y avait rien d'autre à y faire qu'à se rencontrer. C'était la place du village. C'était de ces petites places coquines tout en rectangle formé.
Au siège se tenait l'église avec son clocher au toit délabré, et à la messe dominicale obligatoire, vestige d'un catholicisme autrefois fervent, mais qui tenait plus dû "parce qu'il faut bien y aller".
En vis à vis, une façade trônait fièrement la gravure de son titre : MAIRIE. En narguant ainsi son frère ennemi pourtant inséparable, le bâtiment aux allures de maisonnette cachait en son sein une salle des fêtes qui se louait au plus offrant et une salle de classe désormais vide, fauchée en pleine agonie par un fâcheux décret académique au nom de la restructuration scolaire et de l'économie budgétaire.
Sur les autres côtés, s'observaient les façades d'habitations séculaires qui, si elles avaient pu, auraient raconté maintes histoires truculentes sur le village et sa région.
Et au milieu de la place, bordée de micocouliers ombrageant des bancs publics, courait une pétanque.
"Tchac !", la boule venait de se figer au plus près du cochonnet après avoir éliminé son adversaire qui roulait au loin sans autre forme de procès.
« Oh peuchère le Marseillais, tu m’esquintes ! » Le perdant avait parlé, admettant ainsi une défaite sans appel, sans cœur et sans reproche.
Le Marseillais, donc, car tel était son nom en ce lieu, venait de ce petit port de pêche à quelque cinquante kilomètres de là qui fleurait bon le mistral, l'O.M et le pastis.
« Té ! Que veux-tu ! On est comme ça chez nous, les boules c'est une seconde nature. »
Venu passer quelques jours de vacances dans ce lointain pays de sa Marseille natale, le Marseillais savait taquiner ses sphères d'acier comme d'autre le goujon.
C'est qu'il était fort le Marseillais "avé les boules". À tel point qu'il en était devenu le champion local. D'un bout à l'autre de la commune, c'était lui ! Et il en était fier, le bougre.
Et voilà nos deux partenaires de jeu, s'adonner à la deuxième activité du village après la pétanque : la citronnade et le 51 à la terrasse du café qui comblait le rez de chaussés d'une de ces façades bordant la place.
Cette histoire aurait dû en rester là au milieu d'un chant de grillons pénétrant qui envahissaient l'espace comme d'autre la terrasse à la chaleur de l'été.
Mais hélas pour notre bon provincial, le coquin de sort en décida autrement.

 

Une arrivée touristique.

« Té! Le Marseillais vise moi un peu cet équipage ! »
À l'entrée du village venait d'apparaître un curieux phénomène, à l'identification douteuse, mais au cheminement risible.
Jugez plutôt : un cadre à la peinture écaillée, mais à l'origine archéologique certaine était porté par quatre roues que mettaient en mouvement deux paires de pédales reliées à une chaîne. Un volant trouvait sa place au milieu des tubulures pour mieux assurer la direction de l'engin. Deux passagers assis sur des coques en plastique en guise de fauteuil assuraient par un effort de cycliste un mouvement à l'ensemble.
Le plus remarquable était les deux voyageurs.
L'homme, d'abord, s'escrimait en sandales de jésuite, short de baroudeur kaki et polo crocodile "made in china" à la couleur délavée rayonnante qui se noyait sous la sueur. Mais le plus mémorable était cette casquette de base-ball ou s'écrivait avec passion :"I ♥ NEW YORK". S'il semblait garder la ligne malgré l'apparition d'un ventre brioché, ce n'était pas le cas de la femme assise à côté de lui.
La femme, donc, avait tout de la baleine échouée sur un rivage inconnu peinant sous l'effort d'un pédalage manifestement hors de sa portée. Au visage marqué par l'écarlate, j'ajoutais une robe indéfinissable qui n'en pouvait plus de boudiner ce corps à la mode américaine. Des yeux de mouche en guise de paire de lunettes de soleil complétaient le panorama. Le Marseillais se trouva bien inspiré à la vue de cette équipée, et ne put s'empêcher de s'ouvrir à quelques réflexions de son crue :
« Y pas à dire, voilà bien une boule que je tirerais bien...sur un cochonnet bien sûr. » L'hilarité qui suivit ce propos graveleux trancha la place comme une guillotine.
Le véhicule, à la propulsion d'huile de coude et de muscles inaptes à l'effort, parvint malgré tout à ce garer sous le regard des curieux.
L'homme en descendit avec la souplesse d'un félin arthritique. La femme parvint à s'extraire de l'engin, non sans mal il faut le dire, dans un mouvement de roulis répété plus proche de l'éléphant de mer que du bipède.
Puis ils s'installèrent à la terrasse du café tandis que l'infortunée chaise qui accueillit la femme souffrait sous le poids.
La commande d'un coca-cola "diet" pour la femme et d'une bière en cannette pour l'autre vint achever le tableau.
La tension de l’événement retomba tandis que le chant des grillons recouvrait la place que balayait un vent à la fraîcheur salutaire.
Sur la pétanque deux joueurs solitaires reprirent leur partie sans passion, animée par le besoin de passer le temps tandis que le bruit des boules qui se choquent, s'entrechoquent et se bousculent vint attirer l'attention de nos deux touristes. Un bruyant conciliabule se fit entendre dans cette langue d'outre-Atlantique à laquelle ni le Marseillais, ni son équipier ne pipaient mots.
Et puis soudain la Perfide Albion intervint sous les traits de l'ancien instituteur du village qui venait là, tous les ans y passer ses vacances. Car lui, l'homme de lettres, savait parler "l'anglais" ce qui lui était pardonné, car après tout il se devait de savoir le monde. Ainsi il conversa avec les deux étrangers. Ce fut au tour de l'équipier du Marseillais de s'ouvrir à une profonde réflexion :
« Et dit, l'instituteur qu'est-ce qu'il nous veulent les deux angliches ? »
« Ah vous rien il me semble, ils ne viennent que passer quelques jours de vacances dans notre beau pays. Et d'ailleurs ce ne sont pas des Anglais, mais des Américains qui viennent de NEW-YORK. »
« What did he say? » Interrogea alors l'Américaine avec une pointe méfiance, prête à mordre, car les regards pesant sur sa personne ne lui avaient pas échappé. Mais son traducteur improvisé, qui se fit diplomate en la circonstance, dissipa rapidement son courroux naissant.
C'est alors que l'homme à la casquette de base-ball posa une question qui fit sourire le professeur lequel se tourna alors, hilare, vers le Marseillais et son équipier.
« Dites vous deux, ça vous dirait de faire une partie de pétanque avec nos deux invités ? »
La première réaction à cette proposition fut pour le moins prévisible. Le natif du village refusa tout net, argumentant qu'il ne frayait pas avec l'envahisseur et d’ailleurs qu'ils n'étaient pas ses invités et ainsi de suite.
Mais le Marseillais, lui, avait pris le temps de la réflexion. Il vint à la rescousse de l'enseignant et de ses infortunés américains.
« Et pourquoi pas ? Ce serait amusant » trouva-t-il à répondre tandis que son équipier le regardait avec des yeux de merlans frits où s'exprimait un sentiment de trahison.
Mais en deux temps et un conciliabule plus tard, il convertit le villageois à cette idée. Rien de tel pour finir la journée qu'une partie pour bouter hors du village ses occupants mal désirés.
Et l'on organisa la rencontre.

 

Où l'on prépare une partie de pétanque.

Rapidement il fut décidé que le maître d'école serait l'arbitre. Sachant converser fort à propos avec les deux équipes, il en était le juge tout choisi.
On équipa en boules les touristes venus. Il ne s'agissait pas de manquer d'élégance en leur refusant le droit de jouer faute d'équipement et de rendre en conséquence cet événement mort-né.
Cela amusa fort le public qui s'amassait autour de la place en apparaissant ça et là comme alerté par un mauvais génie.
C'est que l'agglomération n'était point grande. Ainsi dès que l’événement fut décidée, la nouvelle se répandit à la vitesse du mistral dans ces meilleurs jours : le Marseillais allait affronter l'envahisseur américain.
Affronter n'était pas le mot qui venait à l'esprit de cette foule éparse à l'échelle du village ; car enfin il s'agissait bien d'une leçon à donner à ces impudents venus fouler le sol "avé leur sandale" et qui décoloraient le paysage "avé leur mise américaine".
L'esprit de ce public attendait plutôt une correction pour ceux qui prétendaient s'inviter là où l'on ne les attendait pas. On leur montrerait ainsi ce qu'étaient des touristes dans un jeu de boules : des chiens dans un jeu de quilles. Car la pétanque chez eux, on s'y connaissait.
Les belligérants armés de quatre billes d'acier chacun, voilà qu'on rappela les règles en usage et plus particulièrement à l'usage des néophytes afin qu'ils semblassent un peu connaître le jeu.
Et l'on choisit le terrain. On s'arrêta sur un rectangle bordé d'un encadrement. Cela semblait plus simple à des débutants.
Puis il advint de décider le nombre de points à obtenir pour gagner la partie. Les plus téméraires en demandèrent onze, mais on rappela que la journée était bien avancée.
On proposa alors quatre, mais on craignit que cela fusse trop court. Après tout, il fallait bien faire durer le plaisir. On finit par s'accorder à six, mais on paria que l'équipe du village en mettrait huit. Il ne fallait pas oublier que l'équipier du Marseillais n'était pas mal non plus ; il pouvait réussir à mettre ses quatre points.
Enfin, se décida l'équipe qui commencerait. Le juge tira à pile ou face. Le sort décida que les "ricains" ouvriraient les hostilités ce qui était de bonne guerre. Tout le monde en convint.
Et la partie commença.

 

Ou l'Américain se met à jouer.

L'homme lança le cochonnet un peu au hasard dans la direction qu'on lui indiquait ce qui fit grincer quelques dents: la pétanque était une science que le lancer du cochonnet n'était pas à négliger.
La petite bille se retrouva un peu loin, mais dans les limites admises par l'entourage. Il faudrait s'en contenter.
Puis il lança sa première boule comme un lanceur sur sa base. Le bras fit deux tours avant de lâcher son projectile qui fila en l'air avant de retomber lourdement sur le sol, au-delà de sa cible, et de continuer avec vélocité à raz la terre. Elle heurta le cadre qui la fit rebondir à angle droit dans la direction opposée où, à nouveau, les limites du terrain ramena l'infortunée dans le droit chemin que le sable finit par arrêter à plus deux mètres de sa cible.
La foule ne manqua pas de réagir à cette étrange façon de tirer. C'est qu'il pourrait être dangereux l'idiot !
Le juge intervint aussitôt et lui rappela qu'il ne s'agissait pas de base-ball, mais de pétanque. Le Marseillais gloussa avant de glisser à l'assemblée rassemblée autour de lui :
« Bonne Mère, il doit confondre le tir au pigeon avé le cochonnet. » Il fut suivi par des rires contenus.
Son équipier se mit en place. Le geste souple et l’appui assuré, sa boule vint se placer en douceur à 80 centimètres de la bille en bois poli. Le coup était appréciable et fut remarqué par le public.
Son adversaire à la casquette se remit en place. Cette fois il se pencha franchement en avant, l'arrière-train bien visible, et lança à son tour d'un geste rapide comme un voleur.
Les yeux écarquillés des spectateurs laissèrent sans voix.
Le coup fut bizarre, sans être véritablement inutile. Cette fois le lourd corps sphérique roula sur le sable en s'écartant franchement du cochonnet. Il tamponna la bordure, mais sans rebondir, qu'il longea sur vingt bons centimètres avant de s'immobiliser à moins de deux mètres de sa cible présumée.
« Il y a du progrès ! Il n'a pas manqué de sortir la boule du terrain cette fois-ci ! » Ironisa un des observateurs.
Troisième essai : les pieds joints, il retint son mouvement. La sphère d'acier s'arrêta trop courte après un mètre cinquante.
C'était trop facile ! À ce rythme l'équipe du village parviendrait à placer les huit boules, chuchotèrent certains, tandis que d'autres approuvaient le commentèrent.
Il tenta sa quatrième et dernière boule. Le silence se fit. Dans l'indifférence, seule la respiration douce d'une brise de fin de journée venait se perdre au milieu de la place.
Cette fois, le lancer fut franc et décidé. Le Marseillais remarqua immédiatement la précision du geste et suivit la sphère avec attention.
La boule suivit une trajectoire rectiligne avant de s'incurver à mi-chemin en touchant le sol sur un angle de quarante-cinq degrés lui permettant de poursuivre sa course en roulant sur le sable. Et, tandis que sa vélocité lui assura de continuer sur sa lancée, elle s'approcha de la boule de son adversaire jusqu'à la toucher en s'immobilisant devant elle. Le coup était remarquable de placement.
Les spectateurs se prirent d'un regain d’intérêt. L'équipe des touristes avait volé l'avantage.
« Oh dit ! Le Marseillais ! Qu'est-ce que je fais là ? Je la tire ou je la pointe ? »
« Tu places deux boules et la troisième tu la tires. »
Cet échange de comploteurs à voix basse fit monter d'un cran la tension. Mais le Marseillais restait confiant, il leur restait sept boules à tirer et il n'avait pas joué. La chance du débutant était passée.
L'équipier tira sa deuxième boule. Elle fit un beau lobe dans l'axe du cochonnet, puis retomba au sol en limitant sa course à quelques centimètres. Elle semblait plus proche de celle de son adversaire, mais il fallait une certitude.
Le juge fut appelé qui métra avec précision.
« 80 centimètres, contre 79 centimètres pour l'équipe invitée. » La décision était sans appel. L'Américain menait toujours. La foule en fut déçue, mais le Marseillais ricanait. La boule était placée, c'était le plus important.
Troisième tir. Similaire au premier, la sphère d'acier vint se poser contre sa petite sœur, toujours à un centimètre du "ricain".
L'équipier pesta, mais son partenaire le rassura. C'était ce qu'il fallait. Le Marseillais attendait son heure. Les boules étaient bien posées.
Quatrième et dernier tir, conformément aux consignes, l'équipier visa pour tirer la boule de son adversaire. Deux centimètres trop tôt, son projectile rebondit et passa au-dessus de sa cible. Il se perdit à plus d'un mètre du cochonnet avant de s'immobiliser.
Le public marqua sa déception et l'équipier du Marseillais vint maudire cette boule qui lui faisait faux bond.
Mais le héros de cette histoire n'était pas en reste. Il s'apprêta à intervenir.
Sous l'acclamation des spectateurs, il entra en scène une main négligemment posée sur sa poitrine comme le tribun s'accrochait à sa toge. Il allait sauver la situation, c'était sûr.
Le voilà qui d'un geste réclama le silence et prit position.
Le mouvement souple et parfait, son projectile se porta contre la boule de son adversaire qui lui faisait de l'ombre et lui prit sa place. Le bruit sec du métal qui se choque, traduit l'éjection de la sphère concurrente qui rejoignit ses camarades au-delà des deux mètres du cochonnet après un rebond sur l'encadrement.
Les hourras de la populace rassemblée résonnèrent dans tout le village. En athlète soucieux d'humilité, le Marseillais salua ses vivats avec enthousiasme.

 

Et l'Américaine joue à son tour.

Ce fut au tour de la "ricaine" de s’avancer devant la ligne de tir.
Elle semblait avoir du mal avec sa boule ne sachant comment la prendre ce qui fit ricaner certains. Tout le monde attendit et attendit encore. L'impatience vint à monter quand finalement, elle se décida : ce fut un lancer à la cuillère.
L'objet décrivit une parabole digne des plus grands saints, mais sans leur bénédiction. La boule vint se planter sur celle de son équipier qui était pourtant la plus proche du cochonnet l'expulsant plus loin encore.
Sous le choc, il arriva alors ce que la physique des boules saurait expliquer par maints sorciers mathématiques, mais qui, pour le profane, se résumait à un « oh!!! » de stupéfaction.
La boule amie, donc, s'arrêta contre la bordure à plus d'un mètre cinquante de la bille en bois tandis que le projectile responsable, mû par une célérité nouvelle acquise sous le choc, s'éjecta hors du cadre en partant sur sa droite.
Elle finit sa course orpheline, loin du terrain.
« Is that good ? » interrogea alors la responsable de ce lancer franc.
Le juge intervint à nouveau, réexpliquant l'objectif de ce jeu. Magnanime on ne releva pas la pénalité encourue pour être sortie du terrain, car, pour tous, la partie était déjà perdue. Pensez donc ! Cinq boules, en faveur de l'équipe du village, se trouvaient dans un cercle de 80 à 100 centimètres entourant le cochonnet tandis que leurs adversaires avaient quatre boules placées au-delà des 150 centimètres et une cinquième disqualifiée.
Il restait à chaque équipe encore trois boules à jouer, mais vu la qualité de la joueuse de l'équipe des touristes, il ne faisait aucun doute dans l'esprit de chacun que tout était déjà joué pour eux.
Déjà on se congratulait, l'envahisseur repartirait la queue entre les jambes et le village garderait sa primauté sur la pétanque.
Puis le deuxième lancer fut fait.
Cette fois la boule fut lancée correctement. Sa trajectoire était bien rectiligne, certes, en direction de ce satané cochonnet. Mais... trop loin pour servir la cause de nos infortunés étrangers. Riant, s'il le pouvait, de toutes ses veines en bois de chêne dont il était fait, il la vit passer au-dessus de lui en satellite fou qui aurait raté sa mise en orbite. Sa trajectoire la planta au bord du cadre avant de revenir en douceur à deux mètres de son objectif.
L'énormité du lancer fit applaudir la foule à grand cœur qui s’esclaffa de plus belle devant ce jeu de boules à la tournure de farce.
L’Américaine sentit assurément la moquerie derrière son dos. Elle aurait bien aimé abandonner devant ses acclamations contraires, mais elle avait sa fierté et se décida à aller jusqu'au bout.
Elle se remit en position. Le Marseillais, en Tartuffe accompli, réclama le silence.
Concentrée, elle lança sa troisième boule. Et ce fut la stupeur. Dans un élan contrôlé, la sphère d'acier vint se placer à deux petits centimètres du cochonnet, face à lui.
Le public ne riait plus. Le vent força, balayant quelques grains de sable en tourbillons pour saluer ce joli coup. Retranché sur un banc, une mémé tricot se mit à glousser devant ce retournement de situation.
La joueuse s'écarta de la ligne de lancer, la tête haute et la bedaine relevée, un regard de défi dans les yeux à l'adresse du Marseillais qui prenait sa place.
Celui-là se mit à réfléchir à la meilleure chose à faire. Il soupesa longuement la boule entre ses mains, puis il arrêta son choix : il en placerait une, puis tirerait l'autre, se gardant la troisième pour finir le jeu.
Tout alla alors très vite. Tel un tireur d'élite, il lança sa deuxième boule qui se plaça à deux centimètres à la droite du cochonnet. Le juge mesura et confirma les distances égales. Il y avait égalité.
Il tira sa troisième boule, droit sur celle de son adversaire, mais elle toucha le sol un centimètre trop tôt et dévia de sa trajectoire. Elle vint se planter à côté de sa sœur jusqu'à la toucher. Le juge mesura : encore à deux centimètres.
La tension monta d'un cran.
Sans plus attendra, il tira sa quatrième et dernière boule... et le miracle se produit. En droite ligne, elle expulsa son adversaire qui partit rejoindre les autres dans la ligne des deux mètres, tandis qu'elle se plaça à la gauche du cochonnet à un centimètre.
Les acclamations du public firent résonner la place jusqu'au clocher.
Le Marseillais et son équipier avaient de quoi se satisfaire : leurs huit boules étaient positionnées autour du cochonnet tandis que les sept autres de l'équipe adverse se perdaient au-delà d'un mètre cinquante.
Il ne leur restait qu'une seule boule, rien de quoi effrayer.
La femme reprit sa place devant la ligne de tir.
Elle prit une profonde aspiration et tira droit sur le cochonnet. Un petit "tchic" se fit entendre et la bille ne bois s'éjecta de son emplacement, rebondit sur le cadre une première fois et se propulsa au centre du cercle formé par les boules de l'équipe des touristes. Tandis que, figée dans un sourire moqueur que formaient ces stries d'aciers, la dernière boule lancée avait remplacé le cochonnet au milieu du cercle formé par celles de ces adversaires.
Ce fut la stupeur et le temps sembla s'arrêter.
L'équipier du Marseillais en perdit son pastis. Les villageois se turent dans un silence de mort. Les feuilles des arbres vibrèrent sous le vent dans un sinistre son de serpent à sonnette.
Le ricanement de la mémé tricot déchira l'atmosphère comme un air de faucheuse. Et le Marseillais, lui, se figea dans une pose d'empereur déchu.
C'est un cri de joie qui réveilla l'assemblée devant ce coup du sort. L’Américaine réalisant son exploit se mit à miner quelques mouvements de "pompomgirl" qu'elle fut autrefois, faisant rythmer sans pudeur ses contours les plus remarquables, accompagnés de cris à la texane.
« L'équipe invitée gagne par six points ». Telles furent les paroles de l'arbitre qui confirma ce que chacun savait déjà, mettant une fin définitive à la partie.
Les villageois se dispersèrent dans la déception. Les couples de touristes s'en allèrent, comme ils étaient venus, après un dernier verre offert par l'instituteur pour leur victoire-surprise.
Et, tandis que le véhicule à quatre roues s'en allait sur la départementale avec l'allégresse des vainqueurs, notre malheureux Marseillais se lamentait sur son sort de vaincu, maudissant cette pétanque qui l'avait trahi pour ces "sauvages d'Amerloque" venus de si loin.

 

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commentaires

E
<br /> Bonjour et merci pour ce joli conte plein d'humour, qui m'a rappelé les livres e Marcel pagnol. Merci pour ton inscription à la ligue des blogueurs qui ne veulent pas de la fonction repost.<br /> <br /> <br /> Brigitte<br />
Répondre
J
<br /> <br /> A mon tour de te remercier pour ton commentaire. <br /> <br /> <br /> Quant à la fonction "Repost"  tu a tout mon soutient contre cette iniquité !!!<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> Très bien vu et drôle...A quand le futur ROMAN....<br />
Répondre
J
<br /> <br /> Merci pour ce commentaire. <br /> <br /> <br /> Pour un roman il y a une marge... <br /> <br /> <br /> <br />
H
<br /> Bien le bon soir<br /> <br /> <br /> Une histoire à la Marcel Pagnol; un peu de soleil pour prolongé l'été qui se termine. Une histoire plaisante à lire<br /> <br /> <br />  <br />
Répondre
J
<br /> <br /> Merci pour ce commentaire.<br /> <br /> <br /> En effet il a bien fallu l'été pour l'écrire. <br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> Malgré mon peu d'envie de rire, là j'étais forcée et j'ai bien ri!!!!!!<br />
Répondre
J
<br /> <br /> Bien heureuse de revoir sur cette page Josiane.<br /> <br /> <br /> Merci pour ton commentaire, j'ai douté du potentiel comique de l'histoire, il est bon de savor que cela fonctionne.<br /> <br /> <br /> Le fruit d'un été sans vacances au soleil.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />

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